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Ce que le confinement nous a appris de la peur

La peur agit fortement sur nos organismes et nos modes de pensée, dès que l’on en est en contact avec elle.

Place de la peur pendant la période de confinement

Pendant les périodes de confinement (2020 – 2021), la peur est présente chez la plupart des gens. La surprise des décisions concernant le confinement, permet de mettre l’esprit et le corps en attente et va ainsi augmenter l’impact des éléments de contexte que nous percevons. La peur sera plus forte avec la préparation dela surprise, de l’inattendu.

Pendant toutes ces périodes la peur est présente et alimentée quotidiennement  lorsque nous regardions / écoutions / lisions les informations – même sans suivre les chaînes d’information en continu –, par les multiples images de morts, d’hôpital, de service de ré-animation, de morgues, de cimetières, de personnes alitées avec une assistance respiratoire qui venaient comme un input pour notre inconscient et nos visions du monde. D’autres nouvelles ont participé également de la génération de la peur : licenciements, augmentation des personnes aux chômages, annonces de violences intrafamiliales augmentées.

Conséquences pour la santé et l’humeur

Sommeil agité, irritabilité, troubles de l’humeur avec des hauts et des bas. La philosophie, la méditation, les pratiques de prise en soin des émotions, la qualité des relations amicales ont pu nous aider à traverser les émotions liées à cette période. Malgré cela, les atteintes à long terme sur le moral, la confiance en soi, la confiance dans les autres et la confiance dans la vie ont sans doute été plus profondes que nous ne pouvions l’imaginer.

Bien sûr tout le monde n’a pas été touché de la même manière, notre perméabilité à la peur est très variable selon nos tempéraments et le travail de développement personnel que nous avons pu mener.

La peur à la sortie du confinement

Si la peur a été présente pendant tout le temps de confinement, elle l’a été également dans la prévision du retour au travail. La perspective même du retour a généré des peurs et des doutes, des questionnements sur le sens et des incertitudes qui vont à leur tour nourrir la peur présente en toile de fond chez certaines personnes  (l’entreprise pourra-t-elle assurer notre sécurité vis à vis du COVID ; mon entreprise va-t-elle survivre à la crise ? est-ce que je dois accepter de mettre mes enfants à l’école ? est-ce que ce travail de commercial pour une multinationale me convient vraiment ? je me demande si le gouvernement n’est pas en train d’improviser pour la suite ; si je vais travailler, qu’est ce qui va se passer pour mes enfants ? Est-ce qu’on va me reprendre une part de la liberté que j’ai gagnée à travailler chez moi ? Est-ce que le numérique va envahir nos vies ?…).

Le monde de la peur

Le monde de la peur est très vaste, il est fait d’une émotion centrale  (la peur) et de multiples sentiments (appréhension, anxiété, inquiétude, trac, …). Tout ceci est augmenté par le stress généré par l’irruption brutale dans notre vie du confinement et du travail à distance, puis des doutes concernant la sortie du confinement. Il est également possible que pour certains nous ayons dans notre passé été en présence « d’histoires de confinement » familiales qui seraient ravivées dans cette situation (enfermement, guerre, pensionnat, enfants mis dans les placards par punition, …).

En ces périodes de doute liée à la découverte de la maladie COVID, la peur a pu devenir envahissante (par exemple la pensée que quelqu’un ayant touché la poignée de la porte devant puisse être malade du Covid, la pensée que la personne que l’on croise dans la rue sans masque porte le virus, …). Lorsque la peur n’est pas prise en compte, elle entrave l’action et diminue fortement la créativité, l’entraide, le partage. Elle peut nous bloquer, comme cette Infirmière qui ne peut plus rentrer dans un bloc opératoire depuis le COVID.

Les managers face aux peurs de leurs collaborateurs

Aider les managers à accompagner les manifestations émotionnelles

Au retour des salariés au travail après le confinement, trois types d’émotions ont pu être présentées : du soulagement (enfin on peut se retrouver, c’était long), de la colère ou de l’indignation (on n’a vraiment pas été aidé pour organiser notre travail, on n’a pas eu les ressources…) ou encore de la peur, de l’inquiétude, de l’incertitude.

Comprendre les mécanismes émotionnels est devenu au retour du confinement une des priorités des managers. Cette écoute particulière des émotions a eu ou n’a pas eu lieu dans les organisations, dans les meilleurs cas, elle a permis une prise en compte plus grande des émotions et l’apprentissage de l’accompagnement des émotions dans les pratiques managériales. Dans d’autres cas, il s’est agit d’une action one-shot, et les pratiques managériales continuent à ne prendre en compte que les aspects « pensées » et « comportements » des êtres humains au travail. Ceci méconnait la dimension « affects et émotions » des êtres humains au travail et aussi oublie que comme être humain et comme professionnel, les managers sont également soumis à cette émotion.

Identifier les sources centrales de la peur

Pour que le manager puisse accompagner les émotions de ses collaborateurs, il est nécessaire qu’il en connaisse les sources, les origines, qu’il sache questionner, reformuler et qu’il comprenne les besoins qui sont cachés derrière chacune des émotions ou des sentiments.

  • L’existence d’un danger réel ou fantasmé. Pendant le premier confinement, pour les personnes qui n’ont pas nié l’existence de la maladie, elles ont pu percevoir le Covid est un danger réel, pour lequel elles avaient beaucoup de mal à définir le degré de risque personnel. De l’’insécurité a été générée par  des modes de fonctionnement nouveaux (que nous n’avons pas encore validés dans notre culture ou dans notre expérience personnelle : queues dans les magasins, séparation et placement en quinconce à la cafétéria, fin de partage de bureau, le coté artificiel des procédures – prise de température à l’arrivée, port du masque, …).
  • L’imprévisibilité et l’incertitude provoquent des peurs plus globales : peur pour son avenir, de ne pas pouvoir payer ses traites, de ne pas pouvoir envoyer ses enfants faire des études, peur de perdre son statut…Nous pouvons également avoir peur pour les autres, dans la compassion, pour ses enfants, pour ses parents, pour des proches dont les professions sont mises à mal par la crise, artisans ou hôteliers… Identifier le danger précis n’est pas toujours simple, il s’agit souvent d’une incertitude quant à l’avenir, d’imprévisibilité.
  • Le risque de répétition d’une situation désagréable vécue dans le passé, période de chômage, privation de liberté, maladie importante… Ces peurs sont appelées anticipatoires, elles placent devant nous un contexte, une situation que nous connaissons déjà et pour laquelle nous avons souffert, que nous n’avons pas su dépasser.
  • L’incapacité à définir ce qui va passer par la suite, l’imprévisibilité, l’absence de possibilité de contrôle sur sa propre vie, la soumission à des décisions qui nous dépassent et pour lesquelles nous n’avons ni le choix de la délibération (décision collective) ni le choix de la désobéissance.
  • Les sources de peur existentielles : pendant le confinement et d’une manière plus générale pendant toute la période ou le COVID a été au coeur de nos vies, le contexte nous a renvoyé à des peurs plus existentielles : 
    • La mort physique (rappel : présence continue des images de morts, de cercueils, de personnes alitées sous respirateurs pendant les infos télévisuelles),
    • la mort de l’esprit qui est la folie, avec pour certains une incapacité à comprendre les symptômes qu’ils vivent : la part inconsciente de notre cerveau travaille avec toutes les images, les informations, les discussions que nous avons autour du Covid,
    • la mort sociale constituée du rejet et de l’abandon, la peur de ne pas être à la hauteur du challenge, la peur de montrer ses émotions, la peur d’être jugé avec sa peur,
    • l’effondrement qui est une forme de mort identitaire : tenir son rôle, ses responsabilités, sa place dans la famille, dans le monde, exister en tant que personne…La peur de l’effondrement est clairement identifiée lorsqu’une femme, qui traverse un burn-out, éclate en sanglots dans notre cabinet en ayant peur de ne plus pouvoir assumer ses enfants. Dans le domaine professionnel, les personnes qui ont eu peur de lâcher leurs responsabilités, leurs missions ont pu toucher du doigt la peur de l’effondrement. Une part non négligeable de la population est également entrée en résonnance avec le risque d’effondrement du monde, ce qui peut renforcer ses peurs plus personnelles.

Quant au manager il vit ses propres peurs et fait face aux peurs des autres. Ses propres peurs : remise en cause de son statut du manager,  de ses rôles et de sa fonction avec le télétravail, de sa possibilité de prendre en charge, d’accompagner toutes ces émotions…

 

Lorsqu’elles se manifestent en nous, les peurs perturbent notre fonctionnement « habituel ». Modifiant notre perception de notre environnement, les peurs vont agir sur nous en tant qu’agents stresseurs, elles s’exprimeront par du retrait de la relation, du désengagement, de l’agressivité… Souvent la colère peut cacher une peur. Je suis inquiet pour l’avenir et cela me met en tension, je suis irrité, je ressasse et, n’identifiant pas la peur, je deviens agressif envers mes managers ou collaborateurs.

Accompagner les peurs

Quelques idées que les managers ont développé au retour des collaborateurs au travail

Le manager qui voulait accompagner et prendre en compte les peurs de ses collaborateurs aura dans un premier temps identifié et pris en compte ses propres peurs, par exemple avec un coach, avec un collègue ou en faisant un exercice d’écriture spontanée. L’objectif est d’être tranquille pour pouvoir accompagner l’inquiétude des interlocuteurs.

Il a ensuite réfléchit à sa propre attitude d’accompagnant des émotions et cherché à développer sa capacité à prendre en compte la peur dans de multiples dimensions :

  • Reconnaître la peur, accepter qu’elle puisse exister (ce qui n’est pas nécessairement facile dans le monde du travail, où la peur n’est pas toujours culturellement acceptée).
  • Reconnaître globalement une forme d’impuissance face aux types de peurs qui peuvent survenir en temps de crise.
  • Créer de la confiance par l’échange, la transparence ; quand il est dur de rassurer, avec des arguments clairs et acceptés par l’interlocuteur, il convient de donner des informations fiables et seulement celles-ci, de dire quand on ne sait pas, de chercher ensemble des solutions.
  • Assurer la sécurité psychologique : accueillir les personnes, rechercher la détresse et la faire prendre en compte par la médecine du travail, reconnaître les individus dans leur singularité (chacun a vécu le confinement et le déconfinement à sa manière propre).
  • Refuser tout jugement sur les manifestations émotionnelles.
 

Développer une culture de la confiance face au risque


Dans la période de déconfinement, de retour au travail en présentiel, des initiatives prises par les directions ou les responsables de serevice peuvent être érigées en bonnes pratiques pour la préparation de la prochaine crise.
  • Développer les protections nécessaires, assurer autant que possible la sécurité physique des professionnels, définir concrètement les mesures barrières… Eliminer les zones de flou, il vaut mieux dans un premier temps poser des limites plus contraignantes et élargir en réfléchissant ensemble dès que possible.
  • Clarifier les processus pour faire face aux risques. Quand on ne peut pas prévoir comment répondre à une situation inconnue, on peut au moins prévoir les méthodes que l’on emploiera lorsque la situation inconnue se présentera, définir les processus sans le contenu (créer du contenant en l’absence de contenu connu).
  • Cultiver la réassurance – en identifiant ses ressources personnelles et les ressources collectives –, prendre des positions courageuses sur les thématiques centrales dégagées par l’échange.
  • Développer la créativité, inventer de nouvelles façons de vivre, de faire face à ce qui se présente.
  • Rechercher ensemble le sens de l’action, clarifier les enjeux, partager les enjeux collectifs et personnels.
  • Développer l’acceptation de la réalité du monde et des situations, favoriser la flexibilité face à « l’impossible possibilité » de tout contrôler : développer la transparence sur les choix, les orientations, les manières de faire, … En clair, prendre les gens pour les adultes (Un exemple de phrase à supprimer du vocabulaire : « on ne va pas parler de ce sujet, c’est trop anxiogène »).
  • Partager la réalité des situations et partager la construction de solutions. Accepter le flou, l’imprécis, le vague.
  • Développer la confiance (en soi, dans la relation, dans le groupe, dans la vie), faire confiance. Ce sera par exemple alléger les objectifs et les processus de reporting, clarifier une vision globale partagée, reposer des réflexions et des règles éthiques et déontologiques.
  • Faire confiance à la créativité et à l’intelligence de chacun. Poser avec clarté les challenges à remplir en lien avec la vision de l’entreprise pendant et après la crise économique.
  • Lutter contre la solitude, réhabiliter le travail collectif, retravailler les processus de travail collectif, revaloriser l’aspect collectif des performances. Par exemple modifier l’évaluation de la performance pour revenir à des objectifs collectifs et réhabiliter la performance collective.
  • Développer de nouveaux réseaux de solidarité. Créer une culture basée sur la confiance, l’entraide, en acceptant des changements dans les priorités. Identifier les doubles contraintes qui pourraient devenir invivables.
  • Créer des lieux, des instances capable de repérer et d’accompagner les personnes en grande souffrance, identifier des personnes aptes à accompagner la peur.
  • Multiplier les moments de joie (gratitude, expression de la fierté, reconnaissance, partages conviviaux, …).

Si la crise du Covid a appris aux dirigeants et managers à accepter que les émotions sont parties intégrantes de l’homme, y compris au travail, et que l’autonomie porte en soi la capacité à parler de ses besoins et de ses sentiments, ce sera un grand pas vers des relations de qualité au travail.

C’est un signe de grande autonomie que d’être capable de percevoir ses besoins, d’en parler, d’identifier les ressources pouvant nous aider à les remplir et de savoir solliciter ces ressources. Plus que jamais l’invention de notre futur aura besoin que nous œuvrions à développer notre autonomie individuelle et collective.

Daniel Chernet et Olivier Dosset (mai 2020 – mise à jour juillet 2021)