Un changement sans impact sur les personnes est-il possible ?
La résistance au changement est à la fois une notion féconde en psychologie sociale et une manière aisée de dédouaner le manager d’une réflexion approfondie sur sa pratique.C’est un thème largement traité, une interrogation sous Google donne 819 000 pages (2015) traitant de la résistance au changement dans l’Internet francophone !
Le changement organisationnel a des impacts contre lequel les personnes luttent lorsqu’elle n’en comprenne pas le sens, qu’il vient modifier leur propre organisation et qu’il a des impacts dans leur capacité à maitriser leur environnement.
Les impacts du changement dans la sphère personnelle
Le changement concerne d’abord des personnes, des individus qui vont devoir modifier leur mode de pensée, leur mode d’agir. Le changement déclenche un processus de réorientation psychologique chez les personnes qui vont vivre le changement, c’est une expérience personnelle.
Prenons l’exemple du développement des systèmes d’évaluation et de mesure de la performance dans une équipe : chacun des membres de l’équipe va se poser des questions ou avoir des pensées différentes en fonction de son cadre de référence :
- On se demande bien à quoi ça va servir tout ça ?
- Qui est-ce qui va exploiter ces données, qu’est-ce qu’ils vont en faire ?
- Comment vont-ils bien pouvoir vérifier la fiabilité des données ?
- Je ne veux pas qu’on puisse comparer avec d’autres qui ne font pas le même boulot que moi, mon activité n’est pas mesurable !
- C’est pas à deux ans de la retraite qu’ils vont m’enquiquiner avec leurs inventions !
- C’est bien un système mis en place par des énarques !
- Voilà une nouveauté bien intéressante !
Les impacts du changement dans la sphère collective
Pour se positionner, la personne – qui a pu élaborer son propre jugement personnel sur le changement – va s’interroger sur ce que son entourage perçoit du changement et sur les réponses qu’il y apporte. Beaucoup de personnes préféreront revenir sur leur propre représentation, plutôt que de se mettre en porte à faux par rapport à leur environnement immédiat, leurs pairs. De plus, certains, bien que favorables au changement, prendront le contre-pied de leur idée pour respecter un engagement idéologique, ils opteront pour les comportements les plus acceptables par leur groupe d’appartenance. Les groupes disposent de normes, de rites, de stéréotypes qui vont influer sur la vie des individus, ils peuvent générer une puissante tendance au conformisme. Ainsi, pour Michel Crozier et Erhard Friedberg, la conduite du changement passe par l’apprentissage collectif de nouvelles manières de raisonner et de coopérer indispensables pour contrer la rigidité organisationnelle (Crozier (M), Friedberg (E), l’Acteur et le système, Seuil, 1977). Le changement n’est pas naturel, il ne devient possible que dans le cas où les acteurs ensemble font évoluer leurs représentations dans une direction favorable, ceci nécessitant du temps, des réflexions communes, de la formation et des échanges d’information. La constitution d’une représentation commune peut prendre comme support les trois axes porteurs tels que nous les définissons, à savoir : l’éthique, l’efficience, l’émergence. Il y a lieu de se poser collectivement les questions amenant à percevoir l’évolution en terme :- d’éthique, de valeurs sous-tendant le changement : en quoi le changement prévu affecte-t-il ou permet-il d’améliorer la situation, de sortir de la crise, de mieux respecter les engagements envers les clients, le développement de l’organisme, ses salariés, ses actionnaires, ses administrateurs ; s’agit-il de survie, de développement, de gains financiers ? en quoi s’intègre-t-il dans la vision d’avenir de l’organisme ?
- d’efficience : en quoi le changement affecte-t-il ou permet-il de développer la culture technique de l’organisme, d’améliorer ses produits ou services, de simplifier les processus, d’améliorer son efficacité, de mieux gérer les ressources ; en quoi va-t-il simplifier les modes de fonctionnement et de prise de décision, les rendre plus fluides, plus adaptables, plus réactifs ?
- d’émergence : en quoi le changement permet-il de développer les compétences, la qualité de vie au travail, les relations, les modes de management, l’épanouissement de chaque acteur ?
Les impacts du changement dans la sphère organisationnelle
C’est sans doute des trois dimensions du changement la plus facile à prendre en compte et donc celle sur laquelle les dirigeants s’appuient pour la mise en œuvre des changements prescrits. Elle couvre les aspects techniques et répond à la question comment structurer l’organisme pour atteindre ses objectifs. Elle prend généralement en compte les 5 phases de l’innovation :- la conception de la nouvelle manière de produire, de s’organiser, de prendre en compte les besoins de ses clients,
- l’expérimentation de ces nouvelles techniques, méthodes ou méthodes de pensée,
- l’évaluation des résultats obtenus,
- l’évolution et l’ajustement du système construit aux enjeux,
- l’intégration dans les modes de fonction standard, dans le système documentaire, les procédures, la culture technique et l’étiquette (les comportements autorisés, ceux qui ne le sont pas) de l’organisme.
Belle synthèse, dans laquelle je reconnais des situations vécues dans le management de mes équipes. Une des difficultés, et opportunité aussi, c’est quand l’équipe est constituée de coéquipiers réceptifs au changement et d’autres coéquipiers beaucoup plus réticents. Autre observation : ce n’est pas toujours ceux qui réclament le plus de changement qui sont les plus aptes au changement quand celui-ci arrive ! Et enfin, dernière observation : le changement est aussi l’occasion de remettre en évidence ou en cause ses propres envies, par opposition au changement qui nous est imposé, il arrive souvent qu’un changement d’organisation pousse les individus à un changement beaucoup personnel beaucoup plus radical, comme démission, mobilité, … c’est un véritable paradoxe : je résiste au changement en changeant radicalement ma position !
Merci pour ces compléments que je trouve vraiment pertinents et pour la manière de formuler le paradoxe résistance / changement radical, je vais m’en resservir 😉