Le temps en coaching – article de 2005
La relation au temps dans le coaching est un sujet aussi passionnant que complexe. Comme dans toute relation humaine, deux temps se chevauchent : le temps de l’instant, celui du travail réalisé, de la résolution de problème, de la transaction (c’est-à-dire de l’échange entre le coach et son client, au travers des mots, des phrases qu’ils emploient, des signes non verbaux) et le temps de la relation. Pour le dire autrement, il y a un temps de la production : production d’idées, de signes, de sens et le temps du lien.
Le temps de la production
C’est le temps de l’échange immédiat, de la transaction, de l’instant. Chaque transaction (unité d’échange social, un aller retour dans la relation) contribue ou non à la réussite du coaching. C’est le domaine de l’immédiat, de la réponse donnée, de la permission, du mot qui tue*, de la dévalorisation qui sera bien difficile à rattraper ; le temps de la crise, de la souffrance à travailler, du problème à résoudre. C’est aussi le temps de l’émotion, de la prise de conscience, du ressenti de sa propre confusion, du ressenti de sa tristesse à ne pas savoir gérer seul, de son incomplétude. C’est aussi le temps qui se partage, vécu par chacun avec son rythme propre. La séance avec ses souffles, ses moments d’attentes, de jachère, ses pleins et déliés.
Pour le coach, c’est le temps de l’action : l’expérience, les techniques d’entretien, d’accompagnement constituent son support. Pour progresser dans son métier, dans ce temps de la production, le coach dispose d’un outil formidable : l’enregistrement des séances. S’il passe un peu de temps à se réécouter, à décrypter les transactions, il s’affûte, devient de plus en plus capable de conscience et de spontanéité dans ses réponses, ses demandes, ses commentaires… Il utilise le temps disponible au bénéfice plein du client et de la relation.
Le temps du lien
C’est le temps qui s’écoule entre la première et la dernière rencontre.
Les séances sont rythmées par des rituels, généralement on se retrouve et on se quitte de la même manière, par quelques mots – bonjour, que voulez-vous aborder aujourd’hui, à bientôt – ou par des gestes singuliers, poignée de main, accompagnement vers la porte, accompagnement vers le bureau. Chacun de ces rituels ponctue la relation, départs – retours – retrouvailles.
Les séances de coaching sont précédées et suivies (tout au moins pour le client, assez souvent pour le coach également) par une anticipation ou par un retentissement de la séance.
Lorsqu’il anticipe, le client se demande ce qu’il va bien pouvoir traiter ce jour, comment il avance, comment le coach va le guider aujourd’hui, comment présenter la situation pour être compris… Il peut ressentir des émotions ou des sentiments spécifiques : peur de ne pas être à la hauteur, crainte de ne pas être entendu, plaisir de se savoir entendu, plaisir de se savoir accepté, désir de trouver une solution, colère en repensant à la situation à traiter, colère de ne pas avancer, confusion, regret que cela se termine, désir que cela se termine, désir de dire quelque chose de son ressenti. Il peut aussi éprouver des sentiments directs envers le coach : amour, intérêt, curiosité, ennui, indifférence. Ces sentiments contribuent à la qualité et à la profondeur de la relation. La relation se construit au fil des séances, bouge, évolue, régresse.
Après la séance, le client y repense, s’il ne rentre pas dans l’agitation liée à son métier, son emploi du temps, sa frénésie d’action, il refait les échanges, pense à ce qu’il aurait pu dire, du dire, voulu dire.
Hors des séances, le client peut se souvenir d’une phrase, d’un regard, d’un geste, d’une idée nouvelle, d’une citation. Le lien perdure, se transforme, le temps agit et colore la relation. Le temps du lien est un temps long, malléable, qui n’est pas soumis à la réalité de la présence ou de l’absence de la personne attendue. Le temps du lien, de la relation est aussi le temps de la trace. Bien après le coaching, le client peut se remémorer un temps particulier de son parcours, une étape de son développement professionnel, une idée construite qui lui a permis de structurer autrement sa vie. C’est le temps de la trace, chaque rencontre nous construit, nous brûle, nous enrichit, nous pèse, chaque rencontre laisse une trace, qui se fait fi du temps. Je pense encore à certains instituteurs, certaines amis de mon enfance jamais revus, certains de mes maîtres disparus. Quelles que soient la nature et la qualité du coach, je ne serais plus jamais le même après. C’est un temps qui dépasse le temps réel du coaching, c’est le temps de la vie. C’est le temps qui soigne, qui répare, qui mûrit, qui nous entraîne vers les différentes étapes de notre vie .
Perception du temps et thématique du coaching
Pour le client, la relation au temps prend également une dimension personnelle : ce sont les pensées qu’à le client quand il prend le temps d’être présent ou absent à une séance. Qu’est ce qu’il laisse pendant ce temps qu’il a voulu pour lui, à lui ? Est-ce qu’il culpabilise (de dépenser de l’argent, de ne pas faire ce pour quoi il est payé, de ne pas être auprès de ces enfants) ou est-ce qu’il est heureux de ce temps précieux ?
Le client peut venir avec de nombreuses interrogations concernant le temps. Comment prendre le temps de vivre, de rencontrer, de savourer, d’apprécier ce que je fait ? Comment gérer les temps de mon travail, de ma vie sociale, de ma vie familiale, de ma vie intellectuelle et créative ? Comment sortir du temps vécu comme une contrainte, un du ? Comment percevoir le temps disponible comme une ressource, une richesse ? Comment mieux structurer mon temps ? Comment cesser d’abuser du temps des autres ? Que se passera-t-il si je continue ce que je fais aujourd’hui ? Comment rebondir, changer d’orientation ? Aurais-je le temps de réaliser mes désirs ?
Le temps c’est aussi un élément de pouvoir. J’ai le souvenir de mes difficultés de jeune consultant lorsque j’attendais que le responsable de rayon de tel ou tel magasin veuille bien me recevoir, de ce sentiment d’impuissance quand l’attente se prolongeait. Je veille maintenant à terminer à l’heure, à ne pas faire attendre mes clients.
Le temps c’est aussi un élément du contrat, qui me pose la question de l’évaluation du temps nécessaire à l’atteinte des objectifs du client, la question de la juste durée pour éviter la dépendance, pour être efficient. Comme le disait Eric Berne : utilise chaque instant de la première séance pour guérir ton client, si la première ne suffit pas, utilise chaque instant de la deuxième séance.
Je souhaite à chaque coach de prendre le temps d’écrire, le temps de réfléchir, le temps de savourer ses réussites…