Aller de l’avant avec l’autre ! (première publication 2008)
Ces mots de Franklin Ernst[1] traduisent de manière élégante la nécessité de la création d’une relation spécifique entre le coach et son client. La qualité de la relation repose grandement sur la mise en œuvre par le coach d’une position de vie sociale Ok – Ok, dans laquelle, il se considère comme ayant de la valeur (il voit et reconnait le prince en lui) et il considère son client comme ayant de la valeur (il voit et il reconnait le prince en l’autre).
C’est quoi une position de vie ?
La position de vie est la vision subjective de notre propre valeur et de celle que nous accordons aux autres, la « position fondamentale que prend quelqu’un par rapport à la valeur intrinsèque qu’il accorde à l’être humain ». Elle se définit comme l’ensemble des croyances fondamentales qu’une personne a sur elle-même et sur les autres, et qu’elle utilise pour justifier ses décisions et ses comportements.
Ainsi qui se considère comme Ok, c’est-à-dire ayant une valeur positive inconditionnelle, accepte ses compétences et ses limites, se sent capable de penser, de décider, de vivre dans le plaisir, de croître ; qui se considère comme Non Ok, s’imagine ne disposant pas de cette valeur positive inconditionnelle. Franklin Ernst utilise la phrase, je ne suis pas OK vis-à-vis de moi-même, ou Ok pour moi, ce qui traduit bien l’idée qu’il s’agit d’une vision subjective de soi-même ou des autres. Il en est de même dans la façon de considérer l’autre.
Chacun de nous atteint l’âge adulte en ayant écrit son scénario de vie (l’histoire prévisible de sa vie, avec les héros, les péripéties, la fin de l’histoire) à partir d’une des quatre positions de vie, sous la forme d’une position de vie existentielle et cachée à notre conscience, qui va guider notre vie. Dans nos pensées, nous pouvons changer régulièrement de position de vie psychologique au cours d’une journée selon les évènements. Sur un plan social, nous allons montrer une position de vie sociale qui va être observable par notre environnement, à travers nos comportements. Dans notre métier de coach, nous pourrons observer les positions sociales de nos clients et nous aurons à construire une position de vie sociale Ok, Ok.
Les positions de vie sociale pourront être identifiées au travers de différents indicateurs : ton de voix, attitudes corporelles, mimiques, mots employés, forme de relation mise en place. Il est possible d’identifier 4 positions de vie.
Je suis Ok, tu es Ok
La position « je suis OK, tu es Ok » conduit à mettre en application les principes de la philosophie de l’analyse transactionnelle décrit préalablement.
Lorsque nous nous considérons comme Ok, nous pouvons nous dire que nous sommes une personne de valeur, même si nous jugeons que ce que nous faisons n’est pas toujours bien. Lorsque nous reconnaissons notre client comme OK, nous le reconnaissons comme étant fondamentalement une personne de valeur, même si nous n’apprécions pas ce qu’il fait ou les positions qu’il prend. Avec cette vision, nous allons éviter de porter un jugement a priori et privilégierons l’évaluation ; nous allons gérer nos agacements ; nous allons chercher à comprendre ce qui se passe pour notre client, à l’intérieur de son cadre de référence ; nous allons chercher à identifier de quel élément il a besoin pour poursuivre son développement.
L’opération sociale (attitude employée dans la relation en lien avec chacune des positions de vie sociale) décrite par F. Ernst se nomme « aller de l’avant ensemble ».
Je ne suis pas Ok, tu es Ok
Cette position de vie conduit notre client à se dévaloriser, et à survaloriser l’autre. Il doute de lui-même, de sa propre valeur, de ses capacités. Il se sent inférieure aux autres, pas à la hauteur, se dévalorise, se replie sur lui-même ; alors que les autres sont perçus comme des parents, des juges, à qui il laisse le pouvoir de décider et d’agir pour elle. L’opération sociale est la fuite. Dans cette position de vie et sous stress, notre client ne va pas au rendez-vous si important pour son avenir professionnel, fuit face à la résolution d’une difficulté, ne prend pas le téléphone pour prendre rendez-vous avec son N+1…
Lorsque Véronique prend son poste de secrétaire générale d’une coopérative de semences, les premières semaines sont difficiles pour elle, elle se sent incompétente, incapable de mener à bien sa mission, au bout de quelques semaines, elle envisage même de quitter ce poste et de revenir dans un secteur de production. Elle ne se considère pas comme Ok, elle vit ses faiblesses comme si elles étaient représentatives de sa personnalité, elle ne fait pas la différence entre qui elle est et ce qu’elle fait ou ne fait pas.
Son coach va l’accompagner dans cette prise de poste en l’amenant à confirmer sa valeur positive inconditionnelle, même lorsqu’elle n’est pas parfaitement capable de réaliser une tâche ou de réussir une action seule.
Je ne suis pas Ok, tu n’es pas Ok
Lorsque notre client se présente avec cette position de vie il a tendance à se dévaloriser et à dévaloriser l’autre. Cette position de vie paralyse toute forme d’action constructive. Elle conduit à refuser tout espoir et à ne faire confiance ni à soi-même, ni aux autres. Les attitudes observables sont l’abandon et la résignation. Les événements sont observés en spectateur résigné ou destructeur. L’opération sociale est l’impasse (incapacité à résoudre les difficultés, à mener à bien les projets). Dans cette position de vie et sous stress, notre client est cynique, peut rire de ses difficultés, des sabotages qu’il réalise dans son entreprise, de l’absence totale d’énergie dans laquelle il est…
Je suis Ok, tu n’es pas Ok
Cette position de vie conduit notre client à s’accepter comme il est et à dévaloriser l’autre. Il peut se sentir supérieur aux autres. Il ne croit qu’en ses propres valeurs, idées, méthodes et ne fait confiance qu’à lui-même. Il dévalorise les autres et considère qu’ils ont besoin de lui comme guide ou protecteurs. Des attitudes de domination, d’agression et de méfiance sont observables. L’opération sociale est le rejet. Dans cette position de vie et sous stress, notre client prend les autres en charge (et s’en plaint), considère qu’aucun de ses collaborateurs n’a de valeur. Quelques phrases significatives : ‘vous ne trouvez pas qu’il n’y a plus de personnel compétent’ ; ‘que pourraient-ils faire sans moi’ ; ‘ils ne sont pas autonomes’.
Marc est le responsable d’une entreprise de 10 salariés du secteur des services, il vient en coaching pour « améliorer son relationnel avec ses clients, dans un esprit de réseau ». Dans son premier contact avec le coach, Nicolas, il cherche régulièrement à prendre le contrôle de la séance. Dans un premier élan, Nicolas le trouve hautain et perçoit qu’il peut être vécu comme arrogant par certaines personnes. Marc montre à ce moment une position de vie je suis Ok, vous n’êtes pas Ok (simplifiée en Ok, Non Ok).
Nicolas ressent de l’agacement envers Marc et la manière dont il cherche à mener l’entretien, il s’interroge sur son ressenti et cherche à comprendre ce qui l’agace. Le qualificatif qui lui vient en tête est « arrogance ». A partir de cette prise de conscience, il va garder cet élément du contre-transfert[2] en tête, comprendre que c’est une difficulté de son client et décider de l’accompagner sans le juger (position Ok, Ok). Lorsque Marc lui expliquera ses difficultés, il emploiera lui-même le mot d’arrogance pour décrire la perception de lui qu’ont certains de ses clients. Nicolas pourra alors l’aider à identifier comment il peut véhiculer cette image, lui pointer certains éléments de son non verbal, sans jugement et sans agacement.
Outre l’habileté à reconnaitre la position de vie sociale de son client, pour l’accompagner à trouver une position sociale Ok, Ok, il est souhaitable que le coach ait conscience de la position de vie qu’il utilise sur un plan social lorsqu’il est dans sa posture de coach (sans doute pourra t-il aller jusqu’à identifier ses pensées internes sur lui-même et sur son client qui traduiront sa position de vie psychologique).
« Ok corral »
Au cours d’une journée nos clients peuvent passer par différentes positions de vie sociales, selon les évènements vécus et leurs interlocuteurs. Ils vont pouvoir agir sur leurs positions de vie sociales si certaines relations ne leurs conviennent pas, en privilégiant certains types de comportement. La signification de Ok Corral (l’enclos ok) montre que nous naviguons quotidiennement entre les différentes positions de vie sociale. Pour Franklin Ernst, nous pouvons choisir consciemment de réaliser une opération particulière (une manière d’agir dans la relation) dans certaines circonstances, même si elle n’apparaît pas comme Ok, Ok. Ernst parle d’opération scénarique (lorsqu’elle provient de modes de fonctionnement que nous avons appris dans notre enfance) et d’opération Adulte lorsqu’elle est choisie comme la plus efficace dans la situation. Par exemple, un manager peut décider (avec l’Adulte) de se ‘débarrasser’ de quelqu’un qui ne convient pas au poste, après avoir vérifié qu’il avait toutes les informations nécessaires pour effectuer son activité. Il peut décider de fuir (ne pas réaliser une mission, ne pas accepter un client), si la situation remet en cause son intégrité. Il peut choisir de ne rien faire pour ne pas alimenter la passivité d’un collaborateur. Bien qu’apparaissant comme socialement Non Ok (dans ces différents cas, il n’y a pas d’action pour résoudre le problème), ces opérations sont utiles pour éviter d’entrer dans des jeux psychologiques.
Outre son application dans la relation entre le coach et son client, le concept de positions de vie est un des concepts centraux de la boite à outil du coach transactionnaliste. Ce concept peut être expliqué à un client qui vit des difficultés relationnelles. Si c’est le cas, c’est qu’il ne noue pas de relations Ok, Ok avec ses collaborateurs, ses fournisseurs ou ses hiérarchiques. S’il comprend quelle position de vie il met en œuvre dans la relation qui ne lui convient pas, il pourra identifier avec l’aide du coach des options de changement. Une des techniques d’intervention est d’aider notre client à définir quelles sont les situations qui l’amènent dans une position de vie autre que Ok, Ok et d’analyser ses situations pour en comprendre les enjeux ou les retentissements émotionnels, puis de relativiser les enjeux, de trouver des options d’aide et de faire exprimer cognitivement les émotions pour pouvoir leur donner la ‘juste place’ nécessaire.
Pour accompagner notre client à passer de la position Non Ok, Ok, à la position Ok, Ok, l’objectif est de lui permettre de retrouver de la confiance en soi et de la confiance dans la relation :
- en recherchant quelles réussites il a eu dans le même domaine,
- en analysant ses inquiétudes par rapport à la rencontre,
- en lui enseignant si nécessaire des techniques corporelles pour se préparer (souffle, relaxation…).
Pour que notre client puisse passer de la position Ok, Non Ok à la position Ok, Ok, il a à prendre conscience que l’autre personne dans la relation a de la valeur, bien qu’elle soit différente de ce que le client espère :
- en comprenant le concept de cadre de référence et en acceptant un cadre de référence différent du sien,
- en valorisant des compétences différentes des siennes propres,
- en retenant qu’il existe de multiples manières de résoudre les problèmes,
- en acceptant les limites et contraintes des autres dans leur action,
- en identifiant ses enjeux spécifiques dans la situation, pour les relativiser si nécessaire afin de ne pas en faire porter le poids à la relation,
- en reconnaissant les différentes qualités de son interlocuteur (qualités sur lesquelles il pourra s’appuyer dans l’entretien).
Lorsque notre client aura la possibilité de rester en position Ok, Ok et qu’il pourra la maintenir, il y a de grandes chances que son interlocuteur lui-même passe en position Ok, Ok. C’est une des plus grandes leçons de l’AT.
Daniel Chernet
Coach, facilitateur
Superviseur et formateur de coachs et de facilitateurs
[1] Franklin Ernst – L’enclos Ok, une grille pour aller de l’avant avec l’autre – Classiques de l’Analyse Transactionnelle N° 1 – Editions d’Analyse Transactionnelle, Lyon (publication originale en anglais 1968)
[2] Le contre-transfert est constitué de l’ensemble des réactions conscientisées par le coach aux réactions émotionnelles de son client.