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Du bon usage de la confrontation

La confrontation est une des techniques d’intervention les plus efficaces dont le coach dispose, mais souvent cette technique n’est pas comprise dans le sens où Eric Berne l’a imaginée. Voyons tout d’abord les multiples sens de ce mot.

Définitions

Le premier sens correspond à l’idée générale de la mise face à face de choses ou d’idées dissemblables : par exemple l’action de confronter un prévenu avec sa victime ou un témoin , la mise en présence de personnes avec le Divin (confrontation avec le Divin), la mise en présence de personnes face à d’autres (confronté à mon contradicteur), la mise en face à face d’idées (confrontation des idées de Serge et de François sur le coaching), la confrontation de croyances avec la réalité.

Le deuxième sens correspond à une appréciation par comparaison – l’action de confronter (des choses, des faits, des idées, etc.) permet de mettre en évidence les rapports de ressemblance ou de différence sur lesquels fonder sa propre opinion.

Le troisième sens ajoute l’idée d’affrontement, d’antagonisme, de conflit, à la mise face à face de personnes ou d’idées : une confrontation est ainsi un débat permettant à chacun d’exposer et de défendre son point de vue, face aux points de vue comparés des autres participants, une conversation durant laquelle les interlocuteurs s’affrontent.

La confrontation est une intervention particulière

Pour plusieurs jeunes coachs croisés au hasard des rencontres, l’idée de confrontation s’entend dans un système d’opposition. L’un peut avoir raison (et garde la position haute) et l’autre tort (ce qui n’apparaît pas nécessairement à la lecture des différentes définitions précédentes qui sont plus de l’ordre du face à face, de la juxtaposition, de l’éclairage des points de vue différents).

Ainsi, j’ai quelquefois entendu un coach dire « alors là, j’ai confronté mon client » avec un doigt pointé vers l’avant, un ton énergique et ferme, montrant bien la position parentale. Dans ce cas, la confrontation consiste à une « remise au pas » du client, à une intervention parentale qui conduit à « montrer au client ce qui ne va pas chez lui ».

Le coach prend la « position haute » et sait ce qui est bon pour son client. Il y a d’une manière symbolique un rappel au client qu’il fait mal, ce qui peut l’amener à une dévalorisation interne ou à un rejet du jugement porté sur lui. Dans cette optique la confrontation n’est pas efficace, puisqu’elle conduit à dire au client des choses qu’il sait déjà depuis longtemps (comme le dit Carlo Moïso : à quoi peut servir de dire au client ce que son environnement lui renvoie depuis de très nombreuses années face à ses comportements ?).

Pour Eric Berne, la confrontation n’est pas une mise en accusation du client, c’est une intervention qui conduit le client à prendre conscience des incohérences de ses comportements ou des pensées qu’il exprime pour les prendre en compte et modifier sa manière d’agir.

« Dans la confrontation le professionnel utilise une information précédemment obtenue ou spécifiée [c’est-à-dire que le professionnel a catégorisé en lui donnant une étiquette : par exemple, ‘c’est un problème d’autorité’] de façon à déconcerter le Parent [la structure qui conduit la personne à répéter des comportements recopiés de figures d’autorité], l’Enfant [la structure qui conduit la personne à répéter des comportements hérités de son propre passé] ou l’Adulte contaminé du client en pointant une incohérence. »[1]

 

L’intervention dite de confrontation, va donc prendre place après un questionnement permettant de comprendre l’origine de la difficulté et une spécification visant à clarifier le statut de l’information.

Noémie vient en séance de coaching et aborde une difficulté vécue dans le mois précédent. « Je suis allée voir mon DG pour obtenir une augmentation et ça s’est mal passé ». Son coach, utilisant les interventions berniennes, va d’abord la questionner sur ce que cela veut dire « mal passé », puis sur les circonstances de la rencontre. Il découvre en écoutant Noémie, qu’elle est allé voir son PDG alors même qu’elle venait de remettre une information qu’il lui avait demandé en retard, se sabotant ainsi elle-même. Il pourra ensuite pointer ses incohérences « Vous êtes allés voir votre DG juste après lui avoir remis un mémoire en retard, ce faisant vous vous êtes mise en difficulté ».

Pour réussir une confrontation, Berne nous recommande de vérifier que l’Adulte du client soit disponible à la confrontation. Ajoutons qu’il faut que nous soyons sûrs d’être en position de vie Ok, Ok avant de confronter notre client (sinon nous risquons de vouloir être plus malin que lui). Cette intervention va se poursuivre par une explication, qui consiste à parler de la situation en utilisant le concept de l’analyse transactionnelle le plus adéquat. Par exemple « C’est comme si vous aviez laissé votre Enfant Adapté rebelle prendre le pas sur votre Adulte. » Bien menées ces interventions sont très riches et permettent de mobiliser l’Adulte du client et de le renforcer.

Pour Carlo Moïso, une opération préliminaire à la confrontation permet souvent d’agir avec plus de doigté et de générer moins de résistance, il s’agit du soulignement (cette opération n’est pas décrite par Eric Berne). Souvent il suffit de dire à son client « j’observe que X » pour que celui-ci puisse prendre conscience de son problème et débute sa propre réflexion.

Georges vient de téléphoner à son coach pour s’excuser d’avoir ‘raté’ un
rendez-vous. Il s’excuse longuement et demande à plusieurs reprises à son coach de l’excuser. Michel lui pointe ce fait « Georges, j’observe que vous vous êtes déjà excusé plusieurs fois, qu’est-ce que cela signifie pour vous ».
Ce soulignement permet à Georges de parler de sa difficulté à venir, de sa
résistance à travailler sur le thème en cours. Michel lui rappelle le contrat de
présence et convient avec lui du prochain rendez-vous.

 

En complément :

« Tu n’es pas là pour être sympathique, tu es là pour être efficace » – Carlo Moïso

Cet aphorisme pour coachs que Carlo Moïso (Psychiatre, Didacticien en A.T.) emploie régulièrement ne manque pas de poser des interrogations.

Pour certains coachs, la qualité de la relation va être l’élément primordial recherché, se référent ainsi à une approche thérapeutique courante basée sur l’empathie, la création d’un cadre confortable et contenant, la réassurance, montrant un cadre parental positif. Il auront plutôt tendance à vouloir respecter leur client, à être en empathie avec lui, à l’excuser de ses manquements, dans une attitude qu’ils pourront nommer de ‘non-jugement’ – permettons nous de noter que s’il s’agit de non jugement, il n’y a pas non plus lieu d’excuser, autre fonction parentale traduisant la supériorité d’un membre du couple sur l’autre. Il s’agira alors de ‘donner au client’ un cadre contenant, une écoute de qualité, une relation conduisant chacun à éprouver l’autre comme proche et non plus comme fondamentalement différent de lui même. Cette attitude peut nuire au développement de la personne accompagnée.

S’agit-il pour autant d’être confrontant (dans le sens classique du terme), de demander à mon client un niveau de perfection et d’autonomie que je n’attendrais pas moi-même, s’agit-il de lui montrer l’aspect négatif de ses comportements ?

Non bien sûr, ce que Carlo Moïso nous amène à envisager, c’est comment nous pouvons sans doute redouter d’aller trop loin, pour ne pas déplaire. Comment, nous allons tirer à fleuret moucheté, alors même que le client attend de nous un regard étonnant, qui le décoiffe, l’amène à remodeler son cadre de référence. Comme le rappelle Christopher Bollas (psychanalyste anglais) nos clients nous payent pour penser et sentir autrement qu’eux, pas pour penser et sentir comme eux ou à leur place.

L’art de la confrontation est un art difficile. En analyse transactionnelle, ce mot a une définition bien spécifique. Confronter c’est montrer au client les incongruences entre ses dires et ses actes ou entre ses dires eux-mêmes, c’est lui pointer ce que l’on a pu observer. Confronter, c’est donner au client une information qui lui permet d’avoir une plus grande conscience de lui même. Confronter, ce n’est pas donner une ‘information’ parentale (jugement, compréhension, absolution, soutien) de la situation. Il ne sert à rien, ni pour le client, ni pour la relation coach – client de ‘pointer’ ce qui ne va pas, de stigmatiser les comportements du client. Comme le dit encore Carlo Moïso, les jugements sont inutiles, car le client connaît déjà la réponse de l’environnement à ce qu’il fait. Il n’est pas non plus efficace à terme de compatir avec le client sur ses difficultés.

Comme nous le propose William Cornell à la suite d’Eric Berne, il est peut-être plus efficace de ‘proposer au client une occasion de voir clair, de réfléchir à ses propres modes de pensées et à ses comportements pour pouvoir les changer. L’AT bernienne vise à déstabiliser le cadre de référence familier et défensif du client par la description, la confrontation, l’interprétation et l’humour.’

[1] Eric Berne « Principes de traitement psychothérapeutiques en groupe » Éditions d’AT- Lyon, 2006, Chapitre 11

Pour aller plus loin : William F Cornell ; Si Berne avait rencontré Winnicott : AT et analyse des relations ; AAT 25, N° 100 – Constructivisme