Les souffrances liées aux ruptures de liens peuvent être très vives, nous en avons tous l’expérience. Elles sont d’autant plus vives qu’un contrat psychologique nous lie à la personne concernée. Dans la famille, les disputes avec un frère sont plus fréquentes et plus fortes que les disputes avec un cousin par exemple. Je peux observer dans ma pratique de superviseur, que régulièrement, les ruptures ou les crises au sein d’un réseau de professionnels ou « d’amis consultants » intervenants ensemble, blessent de manière importante les anciens associés. Cette souffrance est d’autant plus vive et plus difficile à traiter que les raisons principales pour l’association sont le plaisir à être ensemble, l’amitié. Dès lors qu’une relation de ce type vient à son terme, les protagonistes perdent une partie de l’intérêt au travail, ont des pensées obsédantes liées à la relation, souffrent, s’épuisent à chercher des solutions. Dans le meilleur des cas, ils mettent en place un temps de régulation, puis communiquent au plan social, cherchent à maintenir un lien, mais la rupture est effective.
Lorsque nous visons une rupture de ce type, nous sommes atteints dans nos croyances sur le lien, la gentillesse et la bienveillance supposée de notre partenaire, nous pouvons éprouver un sentiment de trahison. Le risque est alors que nous nous repliions sur nous-même et cessions toutes relations en ‘jetant le bébé avec l’eau du bain’. Il est nécessaire que nous prenions le temps d’explorer la situation en supervision ou en thérapie, pour permettre notre réinvestissement dans l’activité et dans d’autres relations. Peut-être, après la crise, pourrons nous regarder nos croyances et envisager la plupart des relations comme des CDD (selon la formule d’une anthropologue dont je n’ai pas retrouvé les références) et non plus comme des CDI, diminuant ainsi le sentiment d’injustice lié aux ruptures.
Comme dans toute situation d’accompagnement, plusieurs manières d’intervenir sont possibles lorsque notre client fait face à la souffrance d’une rupture professionnelle. Nous pouvons par exemple l’accompagner vers la compréhension de l’origine de sa souffrance et des croyances qui ont abouti à sa souffrance ; dans l’exploration des signes précurseurs qui n’ont pas été pris en compte ; dans l’analyse de l’histoire de la relation ; dans la recherche des bons moments dans la relation ; dans le traitement et l’expression de la blessure, des émotions, dans l’inventaire des situations que la personne a déjà résolu et dépassé…
Mon rôle de superviseur de superviseur en formation me permet de voir de très belles interventions, j’ai ainsi choisi de présenter l’accompagnement de Myrtille par sa superviseur Paule. Myrtille est une formatrice qui vient de vivre un clash important au sein du réseau auquel elle participe depuis près de 10 ans. Cet accompagnement est centré sur une manière particulière d’exprimer les contenus des états du moi (ici Enfant libre / Enfant adapté rebelle / Adulte principalement) à partir de l’expression de mots clés concernant le problème et la solution.
Verbatim
Les commentaires ont pour objectif de formuler des hypothèses sur ce qui se passe à partir de mon propre cadre de référence.
Paule : Que voudrais-tu obtenir ?
Myrtille : De la protection.
P : Tu vas juste laisser flotter ton esprit et il va y avoir 3 mots qui vont monter.
M : Non, il n’y a rien.
(Paule a sans doute été légèrement trop vite, elle connait bien Myrtille, mais aurait sans doute du reprendre contact plus longuement)
P : Ce n’est pas grave … s’il y avait 3 mots qui voulaient monter, ce serait quoi ?
M : Injustice, agression, incompréhension.
(Ce sont les mots qui caractérisent la blessure, le problème, l’origine du problème)
P : Je vais écrire ces trois mots au paper board ; comme ça on ne va pas les oublier. Tu laisses passer ces trois mots dans ta tête… Et maintenant donne-moi 3 autres mots qui montent dans ton esprit.
M : Réparation, Bienveillance, Courage.
(Ce sont les mots qui vont permettre de trouver la solution, d’aboutir à la levée de la souffrance)
(Paule les écrit au tableau)
P : Merci Myrtille, il est possible qu’il manque encore un mot, ou deux ou trois.
M : Colère (les larmes montent)
P : –
M : (Pleurs)
(Paule soutien Myrtille en non verbal, elle montre son empathie)
P : Tu viens de donner les mots qui expriment le problème : injustice, agression, incompréhension et les mots qui expriment la voie de la solution : réparation, bienveillance, courage.
P : Est-ce que tu peux obtenir une réparation de la part de Sidonie ?
M : Non, je ne crois pas
(Pour l’instant l’Enfant est trop énergétisé pour que cette solution puisse être acceptée, elle pourra être réenvisagée lorsque l’Adulte de Myrtille sera a nouveau présent et disponible)
P : Qu’est ce que tu vas substituer à la place ?
M : de la protection, comment me mettre à l’abri
(le superviseur écrit ‘protection’ au tableau)
P : Est-ce que tu peux obtenir de la bienveillance ? (En montrant les mots écrits au tableau)
M : De la part de Sidonie, non, ce n’est pas possible. Mais j’ai beaucoup de la bienveillance de la part de mes autres collègues dans le réseau. J’ai beaucoup de bienveillance de la part de certains de mes collègues qui ne sont pas dans le réseau.
P : Est-ce que tu peux me donner quelques noms de clients chez qui tu te sens dans la bienveilllance ?
M : (donne des noms de clients)
(Paule permet à Myrtille de commencer à voir qu’elle est elle même généralement dans la bienveillance. La bienveillance apparait comme un besoin de l’Enfant de Myrtille et comme une de ses valeurs centrales d’intervenante)
P : Tu te sens bienveillante et tu peux obtenir de la bienveillance.
M : (Acquiesce)
P : Dans ton histoire professionnelle, ou d’élève, quelle personne a été la plus bienveillante ? De qui te rappelles-tu ?
M : Ma prof de CP
(La question oriente Myrtille vers une réponse dans son enfance. S’agit-il de thérapie ? En ce qui me concerne je ne crois pas, l’orientation n’étant pas vers la souffrance, le manque, mais vers la vie d’écolière et le soutien reçu. Si la question avait été exclusivement centrée sur la vie professionnelle, le risque d’aborder la zone de la thérapie ne se serait pas posée).
P : Comment s’appelle-t-elle ?
M : Mme C.
P : Raconte-moi une histoire avec Mme C., une histoire de bienveillance.
M : (raconte une histoire de CP)
P : Est-ce qu’elle aurait laissé Sidonie te dire des choses blessantes.
M : Non ! Elle n’aurait pas laissé faire.
(Paule fait intervenir Mme C. comme soutien de l’Enfant).
P : Est-ce qu’il y a d’autres figures d’autorité dans ton cadre professionnel qui ont été bienveillants ?
M : Oui, Pierre
(Paule recentre sur la vie professionnelle)
P : Si Pierre avait pu être présent au moment du conflit, qu’est ce qu’il aurait dit ?
M : Qu’on peut tout se dire, mais avec du respect.
P : Quand tu penses que Pierre serait intervenu et aurait dit qu’on peut tout se dire avec respect qu’est-ce que cela te fait ?
M : de la tranquillité.
(Paule fait ensuite appel à d’autres figures d’autorité professionnelles)
P : Tout à l’heure tu as utilisé le mot courage. Tu as du courage ?
M : Ah oui, ça j’en ai. J’ouvre ma gueule, je dis les choses, je suis honnête.
P : C’est quoi le courage pour toi ?
M : Etre honnête, aller au delà de la peur, surmonter des difficultés.
P : Comment Pierre peut-il savoir que tu es courageuse ?
M : (donne des réponses)
P : Tu as donné tout à l’heure le mot protection au tout début de notre entretien. Est-ce que tu as besoin de protections physiques ? de protections psychologiques ?
M : (donne des réponses)
(Paule revient à la demande de départ et va aider Myrtille à trouver les protections dont elle a besoin, maintenant que son Enfant est tranquillisé et que son Adulte est disponible.)