Oui mais : un jeu psychologique pour repousser les « sauveurs »
Très tôt dans ma formation en analyse transactionnelle j’ai appris que le jeu psychologique dénommé « Oui Mais » existait et qu’il indiquait dans la relation que la personne ne souhaitait pas du tout être aidée, malgré un semblant de demande. Son objectif semblant être de ‘dégommer’ toute autorité qui pourrait lui donner des conseils ou lui indiquer ce qu’elle devrait faire. Son attitude pouvant traduire en acte une pensée du type ‘essayez seulement de m’aidez – vous allez voir ce que vous allez voir’.
Prenons un exemple dans une situation de groupe de travail de coach :
- Sophie, une coach en formation, présente sa difficulté dans son groupe de pairs : « J’ai du mal avec ce coaching, le dirigeant ne répond pas mes interrogations, je ne sais pas comment l’aborder, qu’est-ce que vous en pensez ? » et voici l’amorce du jeu lancé. Bien sûr, elle a pris le temps d’aborder la situation et de la présenter sous un angle qui permet à chacun dans le groupe de se sentir intéressé, capable de résoudre la situation et de proposer des options nouvelles.
En tant qu’observateur extérieur, vous n’auriez sans doute pas répondu à cette amorce, vous auriez vérifié la teneur de la demande, vous auriez voulu aller plus loin dans les précisions. Mais n’oublions pas que dans un groupe de travail, les attitudes ne sont pas toujours celles que nous pouvons avoir avec du recul. Dans ce groupe de pairs, chacun, à partir d’une envie sincère d’aider, se sent poussé à proposer ses options (toutes options fort utiles soit dit en passant), chacun obtenant en réponse un « oui mais » retentissant, les parades sont subtiles. Après quelques échanges, les membres du groupe se lassent et sortent du jeu, il se retirent et le combat cesse faute de combattants. Interrogation de Sophie : « au fait, le groupe de pair, vous êtes sûr que c’est utile ? ». Je vous laisse imaginer la surprise des membres du groupe.
Pour Eric Berne, le fondateur de l’analyse transactionnelle, ce jeu est complémentaire du jeu « J’essaye seulement de vous aider », dans lequel chacun d’entre nous a eu de grandes chances de tomber un jour pour peu qu’il ait une légère tendance à être sauveur. Qui peut en effet résister à l’envie d’aider son prochain ? Je dois confesser que j’ai pu y jouer quelquefois.
Confronter les Oui Mais
Au cours de ma formation, j’ai donc appris rapidement à repérer les « Oui, mais » et à les confronter (avec plus ou moins de bonheur et de malice selon l’énergie et l’état d’agacement).
Par exemple, en disant comme un ami superviseur « ma religion m’interdit à poursuivre après trois oui, mais » ; ou encore en rappelant à la personne que les options s’écoutaient sans interruption ni contestation (foire aux options) avec sinon le risque que plus personne ne cherche à l’aider si elle poursuivait ses oui mais ; ou encore en pointant ma part dans la situation « je suis désolé, je me rends compte que je te donne plein de mauvaises options, c’est sans doute que je n’ai pas écouté ce que tu voulais me dire » ; ou encore en donnant une liste d’options en parlant sans m’arrêter ; ou encore en m’arrêtant et en demandant « au fait tu as besoin de quoi ? ».
Toutes ces options sont plus ou moins acceptables, selon la situation, le ton et le degré d’agacement avec lequel vous réagissez. Elles ont toute une bonne raison d’être et correspondent chacune à un style de relation. Elles constituent des parades au jeu « Oui, mais » lorsque celui-ci est bien débuté.
Bien sûr, le plus efficace pour éviter ce jeu reste de faire une bonne analyse de la demande, de prendre le temps d’écouter, de demander à la personne de préciser sa pensée, son besoin, son désir, de l’écouter se plaindre pendant un temps donné.
Accepter les oui mais
Il me semble qu’il est possible en étant trop rigide sur les « Oui, mais » de passer à coté d’un élément important pour notre interlocuteur.
Le « Oui, mais » suite à une proposition que nous faisons à quelqu’un, traduit le désir de notre interlocuteur d’améliorer la proposition, de la faire coller à son mode de fonctionnement, de faire part de ses blocages, de ses difficultés (réelles ou imaginaires) à mettre en œuvre la proposition, de ses résistances, de faire le lien avec son cadre de référence… et le coach, le manager, pourra les entendre et aider son interlocuteur dans le choix de sa propre solution ou des modalités de mises en œuvre.
Lorsque nous sommes amenés à suggérer quelque chose à notre interlocuteur, soyons attentif à éviter qu’il ne s’adapte trop à la proposition, qu’il ne l’accepte sans y réfléchir, à partir d’une position adaptative et non d’une position autonome (dit en analyse transactionnelle, à partir de l’Enfant adapté soumis, plutôt qu’à partir de l’Adulte).
Ce risque existe bien évidemment, lorsque nous sommes en position d’autorité sur notre interlocuteur (induisant une position haute, position du sachant réelle ou imaginée par l’interlocuteur).
Soyons donc attentifs au non verbal montrant la compréhension par la personne de la proposition, son acceptation à travers un franc sourire ou au contraire son incompréhension, son désir de dire non, son adaptation.
Nous disposons également de la stratégie du « Oui, mais » intentionnel. Lorsque nous faisons une proposition à quelqu’un, vérifions avec lui la manière dont il la reçoit, en lui demandant de dire tous les « Oui mais » qu’il imagine ; ou en lui demandant de se faire l’avocat du diable, par exemple : « j’ai besoin que vous me formuliez tous les Oui mais possible, ils vont me permettre de mieux comprendre ce dont vous avez envie ou besoin ».
Prendre en compte les « Oui, mais » dès leur naissance, est une manière respectueuse de considérer le désir d’autonomie de notre interlocuteur.
Daniel Chernet, Facilitateur du travail d’équipe, coach
Formateur et Superviseur de coachs